Lors de notre récente balade en Aveyron, j’ai entendu parler de Saint Santin, un village très particulier, un village double, avec deux églises, deux mairies, etc. Oui, dans le même village. J’ai donc voulu en savoir plus. Les aveyronnais me menaient-ils en bateau (oui, nous étions sur un bateau électrique la première fois que j’en ai entendu parler !) ?
Saint Santin : une curiosité
Depuis quand ?
L’histoire singulière de ce village débute en 1790. Henri Ruat, ancien instituteur et maire du village (1989-2008) explique : « A la Révolution, les communes se substituent aux paroisses, et les anciennes provinces sont découpées en départements. En 1790, le haut pays (province d’Auvergne) prend le nom de département du Cantal et le bas pays (province du Rouergue) celui de l’Aveyron. La frontière entre les deux territoires est fixée par décret. Mais les élus ne réussissant pas à se mettre d’accord, elle traverse la place du village entérinant les limites historiques de l’Auvergne et du Rouergue. »
Oui, vous avez bien lu : la frontière est au milieu de la place du village.
Les conséquences ? Multiples :
Pour les animaux :
- Les foires aux bestiaux avec les blouses bleues des éleveurs de salers d’un côté de la place et celles noires des éleveurs d’Aubrac de l’autre.
- Pour passer un troupeau d’un côté à l’autre du village il faut encore actuellement une autorisation de transhumance.
- Deux races de vache, les Aubrac d’un côté, les Salers de l’autre. Si même les vaches s’en mêlent, alors c’est que de toute bonne foi, il doit y avoir une véritable raison.
Pour les humains
- Les petits Aveyronnais et les petits Cantaliens s’affrontaient à coup de boules de neige remplies de cailloux et de « Cantalou, ta gueule de loup ! Aveyronnais, tête de cochonnet ! ».
- Les enfants sont dans deux académies différentes et n’ont pas les mêmes dates de vacances. Et imaginez le casse-tête pour les parents s’ils ont un enfant en maternelle dans le Cantal et un autre au collège en Aveyron, ou inversement.
- L’électricité est arrivée en 1932 dans le Cantal. De leur côté, les Aveyronnais ont préféré continuer à vivre à la bougie pendant onze ans… jusqu’en 1943. Et quand il a fallu éclairer la place des deux églises, aucune des deux communes ne voulait éclairer la partie de l’autre.
Pour l’administration
- Deux codes postaux 15150 et 12300,
- Deux indicatifs téléphoniques 04 et 05
- Le village dépend de deux gendarmeries différentes.
- D’un côté on lit la Dépêche du Midi, de l’autre La Montagne.
- On vote plutôt à gauche dans la partie Cantal, à droite en Aveyron.
- Un caniveau fut aménagé au centre de la place afin de délimiter la frontière entre les deux communes Saint Santin des Maurs et Saint Santin d’Aveyron, les deux départements le Cantal et l’Aveyron et les deux régions Auvergne Rhône Alpes et Occitanie. Doit-on voir ici une illustration de l’ordre de priorité dans la dépense des fonts publiques ? Je n’ose imaginer que c’était pour éviter que les concitoyens ne s’égarent.
- Une maison située sur la frontière posa-t-elle problème ? Et non, ce serait sans compter sur l’ardeur règlementaire de nos administrateurs : en France c’est le lieu de procréation qui compte (la chambre à coucher), quand sous d’autres législations c’est par exemple la porte d’entrée. Elle fut donc là décrétée aveyronnaise.
Pour la religion
- Les messes n’avaient pas lieu à la même heure. Et personne ne se serait risqué à aller à la messe dans l’église de l’autre paroisse, comme le raconte une anecdote célèbre au village. Au curé qui voulait l’expulser, un paysan aurait rétorqué : « Dites M. le curé, le Bon Dieu n’est-il pas le même dans le Cantal et dans l’Aveyron ? »
- Quand il a fallu acquérir un corbillard les deux communes ne purent se mettre d’accord. Alors Saint-Santin-de-Maurs l’acheta et le louait pour les enterrements des Aveyronnais.
- Pendant longtemps, il n’y eut qu’un cimetière. Un jour, plus de place dans la partie cantalienne. Le conseil aveyronnais refusa de vendre un bout de terrain supplémentaire : il était impensable de créer une enclave cantalienne en territoire aveyronnais. Les Cantaliens créèrent donc un nouveau cimetière de leur côté de la frontière. L’histoire ne dit pas s’ils ont rapatrié les exilés ?
Et encore
- Et un seul monument aux Morts et un seul stade de foot. Peut-on dire que le sport et les guerres rassemblent les hommes ? Oui l’un temporairement, l’autre éternellement.
- L’écrivain Jean Anglade s’est inspiré de ce village pour son roman : Un souper de neige.
Si vous connaissez d’autres anecdotes sur ce village très particulier, n’hésitez pas à les ajouter en commentaires.
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2 commentaires
[…] Pierres », j’avoue avoir séché. Bien sûr, j’ai déjà parlé de beaucoup de lieux en France liées à de vieilles pierres, riches d’histoire et parlant à mon […]
[…] C’est un régal de découvrir les légendes qui entourent un lieu. Comme celles concernant Saint Santin par […]